J'ignore ce qu'il en est pour vous, mais moi ça m'est arrivé de reprendre des thèmes plus ou moins célèbres. La culture ne manque pas de ces élaborations où on peut repartir de pièces classiques par exemple, comme Isao Tomita l'a fait pour "L'oiseau de feu", de Stravinski. Ou encore cette relecture "moderne" de Beethoven, Purcell ou Rossini par Wendy Carlos aux synthés, pour le film "Orange mécanique".
Je ne suis pas du tout pour l'idée de "moderniser" un thème. J'aurais tendance à penser que si on fait tout ce boulot, ça n'est pas juste pour changer l'orchestration, mettre "un coup de neuf" à une musique, d'autant que, je l'ai constaté : plus on veut restituer l'esprit "moderne" à travers les sons actuels, plus on se trompe : les sons "actuels" ne le sont qu'à une époque précise, et ils vont vieillir bien plus vite que d'autres, à portée plus universelle. Un piano acoustique, un violon, une flûte traversière, ne se démoderont jamais. Alors que les sons des synthés des années 70, suivant lesquels, enfin... Gros bémols à la clé. Cela dit, inévitablement, ce qu'on fait porte l'empreinte d'une époque. Mais évitons le piège de vouloir faire "moderne", souvent on obtient le résultat strictement inverse.
Pour moi, l'exercice n'est vraiment motivant que si je réussis, à la fois à respecter la musique dont je me sers (et je ne ferai jamais ce boulot pour quelque chose qui ne me plait pas), et en même temps, l'amener ailleurs. Apporter des idées, thèmes, variations, développements, qui ne figuraient pas dans le score original.
Ce n'est pas arrivé souvent. Une fois, j'ai repris un morceau composé par John Beasley, "Joab", enregistré sur un album de John Patitucci. J'ai quasiment doublé son temps, je l'ai fait partir un peu en trip halluciné. Avant, ou après, j'avais fait une adaptation en midi à partir d'une longue pièce de Magma, "Zombies" (de l'album "Ementhet-ré"). Là, je me suis contenté de recréer la même chose, à la nuance près, car ça venait d'une cassette au son assez pourri, et il manquait la fin. J'avais dans l'intention de réparer ça, d'en inventer une. Et puis, le courage m'a manqué. Je me suis demandé qui j'étais pour tripatouiller la musique de Vander et j'ai laissé tomber. N'ayant pas, à l'époque, possibilité de créer des voix, j'avais attribué le chant à une trompette, mis du vibraphone, enfin, pas mal de changements dans l'orchestration. Mais on retrouvait exactement la même ambiance - qui me fascine. Ils n'ont sorti l'album que des décennies plus tard. A l'époque, de cette longue pièce de musique, je n'avais que cette cassette pirate, au son très moche. Le but n'était donc pas tant de créer, que réparer un manque, on va dire.
Plus récemment et en audio cette fois, j'ai travaillé sur le set composé par Walther Schumann pour le film "La nuit du chasseur", de Charles Laughton. On peut dire que je l'ai pas mal bousculé, puisque vers la fin, il y a des 4/4 avec la batterie. Et j'ai fait également une interprétation d'un passage de "Blade Runner", Vangelis. En fait, pour ce travail, je n'ai gardé que très peu d'éléments. C'est lorsque Deckard entre au Bradbury, vers la fin du film. Il y a deux accords au Fender Rhodes, et une petite phrase qui se répète à la flûte. Tout le reste, je l'ai oublié, et puis c'est mélangé avec la bande son et les bruitages du film. Je n'ai pas voulu les recréer, j'ai fait quelque chose d'analogue, on va dire. Et puis, en ce qui concerne le Rhodes, je l'ai repris tel quel, mais ensuite, le mien ajoute d'autres accords. La flûte, je l'ai attribuée au sax soprano mais pareil : rapidement, il développe, apporte d'autres idées. Et ensuite, gageure, de ce moment totalement arythmique, aérien, j'ai réussi à créer quelque chose de rythmé. Au final, les quelques instants du début sont ensuite emmenés dans d'autres développements, changements de tonalités, breaks, etc. Vers la fin, ça revient au thème du début.
En ce moment, je suis en train de m'attaquer à un thème archi connu de Lalo Schifrin. Pas évident, je trouve, cet exercice. A chaque fois, je danse sur la corde raide.
Et vous, que pensez-vous du fait de travailler à partir d'un thème extérieur ? L'avez-vous fait, et si oui, comment avez-vous procédé ?
Bon, racontez, si vous avez envie. Expliquez, ne vous gênez pas. A suivre,
P.S : Je réalise, en me relisant, qu'il est un peu absurde de parler de mon "Bradbury trap" sans le donner à écouter. Alors voilà, j'indique un lien...
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