Oui c'est un sujet intéressant.
Je suis nouvel inscrit, novice sur mon PA900, et je ne peux pas participer sur les sujets techniques d'arrangeurs pour l'instant.
Cependant sur ce sujet, je peux peut être apporter des éclairages.
EDIT: je ne pensais pas du tout en écrire tant, mais bon maintenant c'est fait.
Il y a eu une discussion récente sur le livre Marc Levine, qui a été fermée, dommage. Je préfère de beaucoup le livre Jacques Siron "La partition intérieure" (un pavé !!), très bien structuré et beaucoup plus clair sur le vocabulaire français (je pourrais commenter si besoin).
Le livre de Marc Levine est une traduction, et d'autre part les anglophones utilisent "scale" pour gamme et pour échelle, et même des fois pour mode (!!)
(je ne quitte pas le sujet)
Une "échelle" est un ensemble de notes (un réservoir de notes), chaque note à la même importance, il n'y a pas de tonique, ni dominante, ni degrés etc... Une échelle a souvent entre 5 et 8 notes (qui se répètent aux octaves). Une échelle n'a pas vraiment de nom, on la nomme souvent par sa gamme la plus courante (ex échelle de la gamme majeure).
Une "gamme" est une échelle munie d'une tonique (et de degrés). Cette tonique structure l'échelle, elle devient une gamme avec une note principale de repos.
Un "mode" est une gamme aussi, mais on utilise actuellement et en Jazz, ce mot pour désigner les différentes gammes obtenues par permutations sur une échelle (chaque note de l'échelle peut être prise comme tonique). Donc une échelle a autant de modes que de notes, mais certains modes sont plus utilisés que d'autres.
Les modes ionien, dorien, phrygien, lydien, mixolydien, éolien (ou aéolien), locrien etc... sont des modes de l'échelle de la gamme majeure.
On peut préciser "mineur dorien" ou "majeur Lydien", mais c'est superflu. En classqiue ils n'ont gardé que majeur et mineur (avec plusieurs variantes de mineur). Il est préférable de ne pas mélanger les dénominations.
Ces noms peuvent paraître étranges au début, mais cette dénomination est bien préférable à celle utilisée dans les années 50-60 en France (qui vient du classique): C dorien est appelé alors Do en mode de Ré (c'est à dire qu'on est sur l'échelle Sib majeur) ...!!!!!!! ça fait des noeuds dans ma petite tête !!! Cette appellation des modes n'est plus utilisée actuellement en Jazz (quelques fois en Jazz manouche..).
Les modes médiévaux n'avaient ces noms là (plutôt protus, deutérus ...), et surtout il avaient des notes de repos (finale, teneur ...) ET ils étaient associés a de petites formules mélodiques indispensables et typiques (mélismes ...).
De la Grèce, au Moyen Âge, au XIXe siècle, au Jazz, la notion de musique modale et l'utilisation de modes a beaucoup évolué (on a perdu certaines choses, on en a gagné d'autres).
On peut construire les modes de la gamme mineur mélodique (forme ascendante, dite aussi mineure Jazz). Les noms se compliquent car on fait référence aux autres modes cités, mais en les altérant: ex Lydien b7 ... qui est aussi Mixolydien #4 .. donc ça se complique un peu car chacun altère la note qu'il préfère en fonction du mode habituel auquel il le rattache (dans l'ex Lydien ou Mixolydien). Dans l'ex je préfère Mixolydien #4 car il est plus utilisé sur un accord V (G7 en C), donc il est plutôt rattaché au mixolydien.
(je peux développer un peu plus mais je veux rester dans le sujet)
Les modes dans le jeu:
Pour moi il faut distinguer "le jeu modal" et "le jeu avec les modes" (qui est un jeu tonal).
Le jeu modal est je crois caractérisé par: seulement 1 ou 2 modes dans le morceau, de grandes plages modales (avec le même mode) pendant 8 ou 16 mesures en gros, l'harmonie est plutôt statique, l'improvisateur installe le mode (avec des caractéristiques du mode et du thème) puis va l'explorer dans tous ses recoins à l'aide de phrases (qui peuvent être répétitives, transposées modalement...), il utilise peu les chromatismes (qui auraient tendance à faire quitter le mode), les cadences sont très souvent I II I ou I bVII I (on évite fortement les cadences tonales comme le II V I). En plus du mode, il peut y avoir un mode rythmique ou harmo-rythmique. On dit aussi "climat modal". Typiquement c'est "So What" (Miles Davis). Miles avait en modal un faible débit mélodique (peu de notes, mais pile poil où il faut, gestion des silences expressifs), mais d'autres ont joué en modal avec un fort débit mélodique.
L'improvisation modale n'est pas plus facile que celle tonale (ci dessous) (on le dit souvent aux débutants, et dans beaucoup de méthodes): il faut savoir à fond utiliser relativement peu d'éléments si on veut que ça soit intéressant, il est plus difficile de varier, de faire sentir la carrure, de renouveler son solo ...
Le développement modal a dans ce cas des points communs avec la musique indienne (au Sitar par ex), mais je ne m'étend pas.
Le jeu tonal (en Jazz) est plutôt caractérisé par: un débit harmonique dense ( souvent 2 accords par mesure, mais aussi 1 ou 4), des modulations fréquentes mais passagères (ex modulation toutes la 4 mesures, voire 2), utilisation très fréquente (presque une manie !! LOL) de la cadence II V I (et de toutes ses dérivées) pour affirmer chaque modulation, le soliste "suit la grille" d'accords (mais il peut l'altérer, aux autres de suivre !!), les modulations sont souvent "aux tons éloignés" (pour un musicien classique), les modulations à 1 ton en descendant sont fréquentes (ex tonalités de C Bb Ab ...). Le Bebop (Charlie Parker dit "Bird") est typique du jeu tonal (poussé à ses limites).
Le jeu tonal avec les modes
Vers les années 50-60, la Berkley School a commencé à utiliser les modes pour analyser du jazz tonal (là c'est ce que j'ai cru comprendre): ça a donné "le jeu avec les modes " en tonal. Grosse différence avec le modal: le mode n'est plus pris par rapport à une tonique (même passagère), mais par rapport à la fondamentale de chaque accord !!!!!! (c'est pas rien !!!). Le mode n'est pas "installé", il n'y a pas de "climat modal", le "mode" n'est alors qu'un outil (intéressant certes) pour le travail.
Pour moi ce n'est qu'une manière de voir: utile bien sûr, mais son développement a tendance maintenant à paralyser l'improvisateur débutant (c'est du à la popularité des Play Backs de Aebersold et ses livrets)
Un bête anatole (terme français uniquement, c'était le nom du squelette dans les salles de cours des étudiants de médecine !!! LOL) de base (I VI II V): CM7 Am7 Dm7 G7 qui serait joué uniquement sur une échelle de C (ce qui est rare) serait analysé Cionien puis Aéolien puis Ddorien puis Gmixolydien. On voit bien que dans ce cas, ça complique plus qu'autre chose.
L'improvisateur tonal (en général), quand il improvise, n'a pas le temps de penser en modes: son cerveau est mobilisé par tout le contexte musical (les autres, l'accompagnement etc...), il écoute les phrases venir en lui (et les trie) en fonction de ce contexte (il réagit en permanence), et il "pré-entend" le contexte (surtout harmonique) qui va suivre (les prochaines modulations) ...
Cependant un petit coup d'oeil de temps sur la grille ne fait pas de mal (LOL !!!).
L'improvisateur est sur le fil du rasoir, en danger, il prend des risques ... (son écoute intérieure doit être très entraînée)
PAR CONTRE, l'improvisateur tonal se sert des modes quand il travaille (!!!!)... ça ouvre les oreilles, d'autres possibilités, donne des idées, ré-ordonne ce qu'on sait ou joue déjà, globalise une impression musicale qu'on avait...
Le jeu avec les modes est un outil (ou une méthode) de travail... (ce n'est pas le seul...), et ça fait progresser. Ce travail engrangé au fond de soi ressortira lors des vrais impros sous forme de détours, contours, virages, dérapages contrôlés ... (! LOL !!)
Vu comme ça les modes permettent surtout (pour moi) de mieux gérer les altérations.
Une autre notation intéressante des modes (pour le jeu avec les modes) est de prendre le nom de l'accord et d'ajouter les extensions, on arrive à la notion équivalente de "gamme d'accord":
ex: Xdorien est noté Xm7 9 13 11 (ces nombres sont mis un peu au dessus, en "exposant"). Beaucoup mettent le 11 avant le 13 (car empilement de tierces), mais c'est plus clair de mettre en dernier (la quarte est souvent une "quarte floue" sur les accords majeurs (ça c'est mon jargon LOL!)).
Dans le symbole d'accord X dit le 1-5 (si b5 on précise), m7 dit le 3-7 (l'axe, de Siron), les 2 premières extensions disent le 9-13 (ou 2-6), et il reste la 4e (floue !). Chaque "paire" est une quinte (juste ou altérée)
Ecrit comme ça ont voit mieux les points communs et les différences entres des modes proches, et surtout on voit sur quel accord ils peuvent assez bien fonctionner...
Le chiffrage des extensions se fait toujours par rapport à la gamme majeure (13 est la note A sur CM7 ou sur Cm7 ou tout autre accord de fondamentale C).
Exemple d'utilisation des modes: travail sur le II V I
Sur un II V I (cadence jazz typique): le mouvement principal est II I, relié par un V qui va apporter de la tension. Cette cadence renforce la tonalité (du moment) en disant les 1/2 tons caractéristiques de cette tonalité, et leur mouvement.
en C: Dm7 G7 CM7 dit qu'on a passages des notes C à B et F à E, et ces notes sont l'axe de Dm7 (C,F) et CM7 (B,E) (Ces passages sont importants à faire sentir dans l'impro). L'accord de tension (G7 ou ses remplaçants) comporte le triton B F, qui donne une partie de la tension.
Mais il y a d'autres passages (des petits chemins): on peut passer par les notes A A G (une pour chaque accord, ses notes "cibles" sont reliées dans une phrase), mais c'est un peu mou, ça manque de 1/2 tons pour un Jazzeux (!!!). On a envie de faire A Ab G, donc on altère G7 en G7 b9 !!!
ou bien D D D serait un peu plat (sauf le D sur CM7 qui fait 9e), le jazzman peut préfèrer E Eb D, là on a altéré (et étendu ici) en Dm7 9 , G7 b13 , CM7 9 .
On voit que les modes avec b9 et/ou avec b13 méritent d'être travaillés, engrangés (par ex, car il y a encore d'autres petits passages, des couloirs, des souterrains dans un II V I ... LOL )...
Comme le bassiste adore aussi les 1/2 tons (qui se ressemble s'assemble !!), il aime bien faire comme basses: D Db C, donc le II V I peut devenir Dm7 Db7 CM7. Et ça vaut le coup de comparer et expérimenter les modes altérés sur G7 et Db7 (la fameuse "substitution tritonique", abrégée souvent en "subV") ... C'est une manière de "linéariser la basse" (ça ressemble un peu à l'utilisation des renversements pour les classiques).
En guise conclusion provisoire
Donc le travail "des modes, des gammes d'accords, des extensions et altérations, des passages chromatiques" revient un peu au même, c'est chacun une manière de voir, de globaliser, de sentir... d'engranger dans sa tête, dans ses oreilles et surtout dans son bide ...
Chaque accord, en tonal, n'est pas "un point", mais une "flèche": il vient de quelque part, et va vers quelque part.
La musique est mouvement !.
Pour les modes en musique irlandaise on y reviendra (j'ai quelques éléments, mais en plus court !), car j'ai beaucoup trop abusé de votre patience.
Si vous avez eu le courage de me lire jusque là, c'est que vous allez devenir accro !!!! LOL
ou alors (plus probable !!) que vous allez retourner à votre clavier écoeuré par tant de mots indigestes pour si peu !!!! LOL !!!
Dans les 2 cas vous aurez raison !
Allez je vais prendre une petite bière bien méritée, car j'ai sué ... (difficile de donner pas mal d'infos, sans dériver du sujet !!)
Musicalement,
Alain
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